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LE VOLEUR

public, une jeune fille qui venait d’entrer, comme gouvernante, au service de M. de Bois-Créault, le fameux procureur-général du commencement de la République. C’était une petite provinciale, bébête mais très jolie. Canonnier s’amusa à lui faire la cour, en obtint des rendez-vous dont il ne pût gâter l’innocence, et finit par en devenir sérieusement amoureux. La petite, qui se sentait vivement désirée, parlait mariage et restait sourde à toute autre chose. Canonnier, qui faisait alors ses premières armes dans l’armée du crime, bien qu’il se fût qualifié voyageur de commerce, trouvait sans doute dans cette intrigue banale une dérivation à l’énervement qui accompagne les débuts dans votre profession. Et puis, vraiment, il était amoureux. Au fond, il ne nourrissait aucun parti pris contre les unions légitimes ; il en aurait conclu trois aussi facilement qu’une seule, le même jour. Le mariage se fit donc, avec l’assentiment de la famille de Bois-Créault, qui garda la jeune femme à son service, même après qu’elle eut mis au monde une petite fille.

— Et Canonnier, que faisait-il pendant ce temps-là ?

— Il était censé voyager beaucoup, surtout à l’étranger. Il voyait sa femme de temps à autre, assez souvent durant les premières années, assez rarement depuis. Quant à l’enfant, qui avait été mise en nourrice d’abord, puis en pension, il a toujours subvenu largement à tous les frais.

— Mais, depuis son arrestation ?

— Deux jours avant qu’on le mît en prison, sa femme mourut subitement de la rupture d’un anévrisme. Hélène, que Mme de Bois-Créault avait invitée à passer ses vacances chez elle, se trouvait auprès de sa mère quand ce malheur survint et put assister à ses derniers moments. Mme de Bois-Créault, émue de compassion, se résolut à garder la jeune fille auprès d’elle. Ah ! l’on dira ce qu’on voudra, continue Ida avec un grand geste, mais il y a encore de braves