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LE VOLEUR

perdu dans le tourbillon des entreprises modernes. Il a fondé une Revue.

— La « Revue Pénitentiaire. » N’en avez-vous pas vu le premier numéro, qui a paru le mois dernier ? Il a été fort bien accueilli.

Je suis obligé d’avouer que j’étais à l’étranger, vivant en barbare, très en dehors, hélas ! du mouvement intellectuel français.

— Ah ! Monsieur, déclare le criminaliste, vous avez beaucoup perdu. L’apparition de la « Revue Pénitentiaire » a été l’événement du mois. C’est un gros succès.

J’en doute un peu, car enfin… Mais Montareuil me démontre que j’ai le plus grand tort. Même au point de vue pécuniaire, sa Revue est un succès ; grâce à certaines influences qu’il a su mettre en jeu, tous les employés et gardiens des prisons de France et de Navarre ont été obligés de s’y abonner et, le mois prochain, tous les gardes-chiourmes des bagnes seront contraints de les imiter. N’est-ce pas une excellente manière de fournir à ces dévoués serviteurs de l’État le passe-temps intellectuel qu’ils méritent ?

J’en frémis. Et quel moyen de répression, aussi, contre les pauvres diables qui gémissent sous leur trique ! Si les prisonniers ou les forçats font mine de se mal conduire, on ne les menacera plus de les fourrer au cachot. On leur dira : « Si vous n’êtes pas sages, nous vous condamnerons à lire la Revue que lisent vos gardiens. » Ah ! les malheureux ! Leur sort n’est déjà pas gai, mais…

Le criminaliste interrompt mes réflexions.

— Nous nous sommes aussi préoccupés, dit-il, de la condition des détenus. Nous sommes convaincus qu’une lecture saine et agréable aiderait beaucoup à leur relèvement. C’est pourquoi nous demandons qu’on les autorise à prélever sur leur masse, pendant leur incarcération, la somme nécessaire à un abonnement annuel à la Revue.