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LE VOLEUR

les enfants. Il est venu avant-hier chez moi, a examiné attentivement la petite, n’a rien voulu prescrire, n’étant encore sûr de rien, mais m’a dit de le rappeler si des symptômes nouveaux se produisaient. « Je pense que ce ne sera pas sérieux, m’a-t-il dit ; mais si je craignais quelque chose, ce serait une méningite. » Tu penses si j’ai été effrayée ! Une méningite ! C’est tellement terrible, surtout à cet âge-là !… J’ai passé la nuit dans les transes. Hier, elle n’allait pas mieux ; elle tournait et retournait sa tête sur l’oreiller, y posait désespérément ses petites mains. Je suis sortie, j’ai couru chez le docteur qui m’a promis de venir le soir. Je rentrais chez moi bien anxieuse lorsque, avenue de l’Opéra, j’ai rencontré Marguerite — Marguerite, tu te souviens ? l’ancienne femme de chambre de Mme  Montareuil. — Elle ne savait rien de ce qui m’était arrivé, s’étonnait de me voir si modestement vêtue et la mine tellement désolée. Pendant qu’elle me parlait, une crainte affreuse m’a saisie, une crainte que je n’avais jamais éprouvée jusque-là, la crainte de la pauvreté. J’ai eu peur, tout d’un coup, une peur terrible, de n’avoir pas assez d’argent pour soigner mon enfant ; je l’ai vue arrachée de mes bras, emportée à l’hôpital… Oh ! je ne peux pas te dire ! Il m’a semblé que j’allais me trouver mal… Je ne pouvais plus écouter Marguerite ; et je ne suis revenue à moi, pour ainsi dire, que lorsque je lui ai entendu prononcer ton nom. Elle disait qu’elle t’avait vu il y avait peu de temps, que tu étais riche… que sais-je ? Alors, j’ai pensé que tu voudrais bien m’aider à sauver l’enfant. J’ai demandé à Marguerite si elle avait ton adresse. Elle me l’a donnée… J’ai voulu t’écrire, en rentrant ; puis, j’ai hésité. La petite paraissait ne plus souffrir. Le docteur, lorsqu’il est venu l’a trouvée plus calme et m’a dit de me tranquilliser. Mais, ce matin, elle a eu une crise : une crise qui n’a pas duré bien longtemps, c’est vrai ; mais j’ai perdu la tête… je ne raisonnais plus. J’ai pris le train pour Londres…

— Il y a longtemps, dis-je sans peser mes paroles