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LE VOLEUR

— Sais-tu pourquoi j’ai refusé de partir avec toi, ce jour-là ? Te l’es-tu jamais demandé, seulement ? J’avais peur, c’est vrai ; mais je ne suis pas une lâche, et je t’aurais suivi — je t’aurais suivi si tu m’avais aimée… Non, ne dis rien ! Je savais que tu ne m’aimais pas, que tu ne m’aimais pas comme je l’aurais voulu, toujours ! Tu ne croyais même pas à mon amour… Tu m’as dit… — Oh ! tu m’as dit et je m’en souviens comme si tes paroles vibraient encore dans l’air, et c’est navrant, navrant… — tu m’as dit que je m’étais donnée à toi par pitié ! Mais dans quels romans as-tu donc appris la vie, toi qui prétends la connaître ? Comment as-tu pu croire qu’une femme saine, intelligente, et qui n’est pas vénale, puisse se livrer à un homme qu’elle n’aime pas ?… Vous lui faites jouer un bien grand rôle, à la pitié, vous qui n’en avez pour personne !… Je m’étais donnée à toi parce que je t’aimais, voilà tout… Ah ! je ne le sais pas, pourquoi je t’aimais… et je t’aurais suivi parce que je t’aimais, sans songer à discuter tes projets et sans rien exiger de toi, si j’avais senti chez toi, pour moi, la moitié de l’amour dont mon cœur était plein. Tu aurais deviné ce que j’éprouvais, ce jour-là, si tu m’avais aimée ; ce que je n’osais pas te dire… Mais j’ose, à présent. Oui, je veux être aimée ; charnellement, bestialement, si ton amour n’est que l’amour d’une bête, mais complètement ; oui, j’ai besoin d’être aimée ; oui, j’en ai soif, j’en meurs d’envie. Et je préfère mourir tout à fait et tout de suite, tu m’entends ? que de mener une existence dont la seule joie, la seule, ne m’est pas accordée. Oui, je préfère ça…

Elle s’interrompt un instant et continue.

— Pourquoi m’as-tu dit de rester, la semaine dernière, quand je voulais m’en aller ? Pourquoi, puisque tu ne m’aimes pas ? Penses-tu que je n’aie point eu assez de souffrances, déjà, et veux-tu m’en infliger d’autres ? Ne sais-tu pas que c’est intolérable, ce que j’endure ? que c’est affreux et insultant, cette affection