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LE VOLEUR

qui m’accueille avec une grande révérence et un gracieux sourire.

— Dis-moi donc bonjour ! Comme tu as l’air étonné de me voir !… Pourtant, mon cher, il n’y a pas deux minutes que tu aurais pu m’appeler « ma tante. »

— Ah ! c’est toi, dis-je comme dans un rêve, c’est toi… Et où est-il, lui ?

— Ton oncle ? Il vient de partir, de me quitter, de m’abandonner ; et je suis comme Calypso. Tu vois que j’ai fait des progrès, hein ?… Oui, il est dans ce train qui s’en va là-bas, l’infidèle. C’est une rupture complète, un divorce. Entre nous, tu sais, je n’en suis pas fâchée. Quel rasoir !… Mais tu as l’air tout désappointé… Ah ! je devine : tu venais lui emprunter de l’argent. N’est-ce pas, que c’est ça ? Embêtant ! Si tu étais arrivé hier, seulement… Enfin, si c’est pressant, et que tu veuilles de moi pour banquier… Entendu, pas ? Tu me diras ce qu’il te faut. Où vas-tu, maintenant ?

— Je ne sais pas, dis-je, encore tout déconcerté de ce départ qui met en désarroi mes projets ; je ne sais pas… Et il est parti subitement ?

— Tout d’un coup ; l’idée lui en est venue hier soir. Du reste, je ne suis pas la première avec qui il ait agi de cette façon ; généralement, au bout d’un mois, quinze jours quelquefois, il a assez d’une femme et la laisse en plan sans rime ni raison. Moi, il m’a gardée depuis février ; cinq mois ! Toutes mes amies en étaient étonnées…

— Et tu ne sais pas où il est allé ?

— Pas du tout. Il m’a dit qu’il partait pour la Suisse, mais ce n’est certainement pas vrai ; il a trop peur que je coure après lui ; en quoi il a grand tort. Beaucoup d’argent, oui, mais ce qu’il est cramponnant !… Non, vois-tu, il est bien difficile de savoir vers quels rivages il a porté ses plumes, ce pigeon voyageur. Toujours par voies et, par chemins. Nous l’appelons le Juif-Errant. Il ne se plaît nulle part. Il y a des jours où je me demandais s’il n’était pas fou… Mais toi aussi,