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LE VOLEUR

retournant, toute blême et frissonnante, son émotion profonde, son insistance à quitter les salons du Casino. C’était son père qu’elle avait vu !… Son père, qui l’avait chassée bien moins par colère que pour garder l’argent mis en réserve pour sa dot, et qu’elle retrouvait là, honte et dégoût indicibles ! jetant l’or à pleines mains sur le tapis vert, au bras de cette femme de chambre devenue horizontale… Ah ! l’être horrible ! Il faut que je le retrouve, quand le diable y serait !

— Tu sais, continue Margot, il ne s’est livré à aucun commentaire malveillant. Il est resté très calme. Il a joué toute la soirée et a gagné beaucoup. Quand nous sommes partis, seulement, il m’a dit : « Ils m’ont porté chance tous les deux ; c’est la première fois. »

Chance ! Il appelle ça la chance, le misérable ! Et c’est pour ça qu’il m’a volé et qu’il a renié son enfant. Pour ça ! Pour courir les villes d’eaux avec des cocottes, pour placer des billets de banque sous les râteaux des croupiers, sur les tables de nuit des putains ! Pour ça ! Quelle chance ! Quelles joies ! Quels bonheurs ! Cette bourgeoisie… L’exploitation sans merci de toutes les douleurs, de toutes les faiblesses, de toutes les confiances et de toutes les bontés — pour ça… Des fils qui jettent l’argent à l’égout, des filles qui le portent à des gredins titrés et ruinés, des vieillards qui ont menti, triché, pillé toute leur vie pour devenir, à soixante ans, les peltastes du vice…

— Je t’ai fait de la peine en te racontant ça ? demande Margot. Pardonne-moi ; je ne me doutais pas… Tu sais que je ne suis pas méchante…

— Non, dis-je en lui prenant la main, tu n’es pas méchante, Marguerite ; malheureusement, beaucoup de gens ne te ressemblent pas.

— Eh ! bien, ceux-là, il faut les laisser de côté, voilà tout. Moi, je n’agis jamais autrement. Ce ne serait pas la peine d’être au monde s’il fallait toujours se casser la tête à méditer sur les dires de Pierre ou les actions de Paul… Tâche de te remettre au beau fixe d’ici