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LE VOLEUR

pas éveiller les soupçons de son mari. Toutes les femmes qui ont un peu d’expérience en savent autant que moi là-dessus.

— Voulez-vous me faire croire que Mouratet ne se doute de rien ?

— Lui ? De rien du tout. Absolument de rien, je vous assure. Vous vous apercevez de ce qui se passe, tout le monde s’en aperçoit, et lui seul continue à ne rien voir.

— Mais s’il ne continuait pas ?

— C’est impossible, répond Renée avec la plus grande assurance. Lorsqu’un homme a confiance dans une femme, ça va loin. Et il a une confiance en moi ! Tenez, le mois dernier, à Paris, il a reçu deux ou trois lettres anonymes ; il me les a montrées en riant et les a déchirées en haussant les épaules… Qui avait écrit ces lettres, je l’ignore.

— Un soupirant évincé.

— Évincé ! Vous voulez rire.

— Mécontent, alors.

— Vous voulez me faire pleurer.

— Une femme jalouse.

— Oh ! s’écrie Renée, comment aurait-elle pu savoir ? D’ailleurs, je n’ai pas connu plus de trois hommes mariés depuis le commencement de l’année. Voyons, ajoute-t-elle en comptant sur ses doigts ; un, deux, trois… quatre… cinq. Non, pas plus de cinq. Ainsi… Armand non compris, bien entendu.

— Il est marié, pourtant.

— Si peu ! Séparé de sa femme au bout d’un mois de mariage. Elle est encore demoiselle, vous savez. D’une pudibonderie à décourager un satyre. Elle a mieux aimé abandonner son mari que de lui accorder la clef des générations, comme disait… Molière. Comprenez-vous des choses pareilles ? Une vestale fin de siècle ! J’ai bien ri quand Armand m’a raconté ça.

— Il y a de quoi. Il vous fait rire beaucoup, Armand ?

— Très peu. À dire vrai, il me met la mort dans