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LE VOLEUR

serai. Je serai dans une loge — vous savez ? au fond — avec Armand. Oui, depuis deux mois, c’est à peine s’il a pu me dire qu’il m’aime plus de cinq ou six fois ; et ce soir, c’est sérieux, il a un joli cadeau à me faire. Il a été fort gêné, ces temps-ci, mais sa mère vient d’hypothéquer son hôtel… Je vous raconte tout ça afin de vous faire voir comme c’est grave. Voilà. Il faut que vous écartiez mon mari pendant une demi-heure. Pourrez-vous ?

— Certainement. Comptez sur moi. Mais ça, c’est le premier service. Et le second ?

— Le second… Il faut que vous m’enleviez demain.

— Hein ?

— Oui. L’existence que je mène n’est pas tenable. Si vous croyez que je n’en ai pas assez, d’une vie pareille ! Questionnée, tourmentée, espionnée, pas une minute de liberté ! Et tout ça, je vous demande pourquoi ! Parce que Monsieur a reçu des lettres anonymes. On n’en envoie qu’aux imbéciles, des lettres anonymes ! Je le lui dirai ce soir, pour sûr… Alors, vous voulez bien ?

— Mais, dis-je en me laissant tomber sur une chaise, je ne sais vraiment pas. En principe, l’enlèvement me sourit assez ; mais je dois avouer qu’en pratique…

En pratique, non, il ne me sourit pas du tout. Ce ne sont pas les scrupules qui me gênent, bien entendu. Les scrupules et moi, ça fait deux. Mais, si légère qu’elle soit, cette petite femme, elle pèsera d’un rude poids sur mes épaules. Qu’en ferai-je, mon Dieu ! D’autant plus qu’avec une écervelée pareille, on est à la merci d’une étourderie ; et il faut le jouer serré, le jeu que je joue… Renée me regarde d’un air consterné.

— Vous ne voulez pas ? Ce n’est pourtant pas bien difficile, ce que je vous demande. Arracher une femme au foyer conjugal, en voilà une belle affaire ! Ça se fait tous les jours et cent fois par jour, rien qu’à Paris. Vrai, je n’aurais pas cru…