Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/397

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
380
LE VOLEUR

si difficile que ça, d’écrire un livre ; et je crois que n’importe qui réussirait à en faire un bon — n’importe quel gendarme, n’importe quel voleur. — Certaines qualités me feront défaut ? C’est fort possible. La sentimentalité, par exemple. Non, je ne suis pas sentimental. (Voir plus haut). Tant pis pour elles.

Et tant mieux pour tout le monde, peut-être. Une petite larme de temps en temps ne fait pas de mal, c’est évident. Mais l’émotion littéraire est tout de même trop pleurnicharde. Infirmes incurables, poitrinaires plaintifs, mères sans cœur, pères sans conscience, jeunes filles chlorotiques, lits conjugaux solitaires, couches mortuaires désertées, enfants martyrs, prostituées par force, proxénètes par persuasion, voleurs malgré eux, pécheresses repentantes et forçats innocents. Ouf !… Vraiment, il y a assez longtemps qu’on s’écarte des énergies pour se tourner vers les émotions. Il est temps que ça finisse. S’il faut une loi, qu’on la fasse !… En attendant, je vais écrire l’histoire d’un homme qui a les doigts crochus et qui ne se lamente pas trop — peut-être parce qu’il n’a pas à se plaindre, après tout. — Cette histoire-là, le lecteur superficiel croira que c’est simplement une autobiographie factice, un passe-temps de littérateur cynique. Mais ceux qui savent voir, qui savent sentir, ne s’y tromperont pas ; ils comprendront que c’est vrai, que c’est vécu, comme on dit ; que la main qui fait crier la plume sur le papier a fait craquer sous une pince le chambranle des portes et les serrures des coffres-forts.


J’écris, j’écris. J’empile page sur page, j’use des plumes, je vide mon encrier. On dirait que je suis à la tâche. Depuis un mois, je ne me suis arrêté que deux fois.

La première, pour lire un journal. Cette feuille publique m’a appris, d’abord, que Mme de Bois-Créault mère s’est donné la mort quelques jours après l’enterrement de son fils ; puis, que Mme veuve Hé-