Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/443

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
426
LE VOLEUR

Oui, vous semblez bien préoccupé. Ne seriez-vous pas amoureux, par hasard ?… Une idée ! Vous m’aimez peut-être ?

— Je n’en sais rien, ai-je répondu, prononçant les mots comme en rêve.

— Vous n’en savez rien ! C’est gentil. Vous me laissez de l’espoir, au moins !… Voyons, voulez-vous que je vous aide à parler ? Voulez-vous que je vous apprenne ce que vous vous êtes dit ce matin, ou hier… mettons avant-hier ? Vous vous êtes dit : « Je vais aller voir Hélène, lui raconter… n’importe quoi… Elle comprendra ; elle voudra bien : Nous partirons ensemble ; nous ferons notre nid quelque part, nous vivrons comme deux tourtereaux… » Et vous en êtes resté là. Moi, je vais vous dire la suite. Les tourtereaux ont eu trop d’aventures pour pouvoir s’aimer d’amour tendre. Leur amour ne sera pas la douce affection qu’il devrait être, mais une halte dans une oasis trop verdoyante et aux senteurs trop fortes, entre deux courses effrénées dans le désert où les ossements blanchissent au-dessous du vol noir des vautours. Bientôt, ils se regarderont avec colère ; ils se donneront des coups de bec et s’arracheront les plumes ; ils renverseront le nid et s’envoleront à tire d’aile, chacun de son côté, blessés et meurtris pour jamais, avec le cœur ulcéré par la haine. Oui, voilà ce qui arrivera… Allons, a-t-elle repris en se rapprochant de moi, soyez raisonnable et regardez les réalités en face. La solitude vous pèse ; soit. Mais la femme qu’il vous faut n’est pas une femme dont l’esprit soit alourdi et obscurci par l’amertume des souvenirs, dont le visage, ombré par les soucis et les angoisses du passé, évoquerait en vous le spectre des jours troublés. C’est une femme qui n’aurait connu que les naïvetés du bonheur ; dans les yeux de laquelle l’espoir seul rayonnerait, et non pas la lueur ardente des souvenances que vous voulez chasser.

— Des mots ! Des mots ! me suis-je écrié, profondément ému par ces paroles qui traduisaient, nettement ; les sentiments confus qui m’avaient fait hésiter