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LE VOLEUR

à parler, qui, en ce moment encore, entravaient ma volonté.

— Non, a repris Hélène, pas des mots. Des faits. La femme qu’il vous faut, vous la trouverez puisque vous êtes riche ; mais elle ne saurait être moi. Oh ! je comprends votre état d’esprit ; j’ai passé par-là, moi aussi. Tenez, je vais vous le dire : j’ai fait ce que vous faites aujourd’hui. Un jour, il y a longtemps déjà, j’étais à Londres, dans une grande détresse morale. J’ai pensé à vous. J’ai pensé… ce que vous pensez à présent. J’ai voulu aller vous voir, vous dire les choses mêmes que vous désiriez me dire ce matin. Mais vous étiez absent ; pour plusieurs mois, m’a-t-on assuré. D’abord, j’ai été désespérée. Puis, peu à peu, je suis arrivée à comprendre qu’il était mieux, pour vous et pour moi, que je n’eusse pas pu vous parler. Oui, cela valait mieux…

Sa voix s’est altérée, brisée par une émotion dont elle n’était plus maîtresse. Elle s’est levée.

— Quittez-moi, m’a-t-elle dit ; je vous en prie. Tout est gâté, souillé, il y a de l’amertume sur tout. Il faut nous taire, puisque nous le savons. Pourtant, ne croyez pas… Écoutez ; si vous avez jamais besoin de moi, appelez-moi. Je vous jure que je viendrai…

Oui, j’aurais mieux fait de ne point aller voir Hélène.


Tout semble s’être subitement desséché et endurci en moi. J’éprouve un resserrement intérieur de plus en plus étroit, torturant. Je l’aime, cette femme, et plus que je ne le croyais, sans doute… Et j’aurais pu la prendre, après tout, la voler — et le bonheur avec elle. — Il en eût valu la peine, ce dernier vol ! J’aurais pu… si j’avais pu…


Si les femmes savaient
Si les femmes savaient s’y prendre…


comme dit la chanson. Et les hommes, donc ! — même ceux qui sont des hommes…

Et si tout le monde savait s’y prendre !…