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qu’un être merveilleux de justice et de douceur allait faire régner la paix et le bonheur, et qui s’entendaient, pour la première fois, prêcher cette morale de Hillel et des Haggadistes, à laquelle n’avaient jamais songé certes les prêtres de Jupiter et que n’étaient point venus leur porter dans leurs bouges les pédants des Écoles ni les orgueilleux du Portique. Avec le temps, à mesure que la réalité forçait les chrétiens de reculer dans les lointains de l’avenir le plus beau de leur espérance, la figure et le rôle de Jésus devaient se transformer et l’abîme se creuser entre lui et Israel. Tandis que les chrétiens-juifs interrogeant la Bible pour justifier leur foi, après avoir expliqué la Bible par Jésus, finissaient par expliquer Jésus par la Bible et le transfiguraient en un type idéal à coups d’interprétations symboliques ; d’autre part, les chrétiens-gentils adaptaient la foi nouvelle aux milieux où ils la propageaient, par des emprunts, de jour en jour plus larges, aux mythologies de Grèce et de Syrie et à la métaphysique de leur temps. De là sortit une religion mixte, compromis entre le passé et l’avenir, et qui conquit le monde, auquel elle fit beaucoup de bien et de mal, beaucoup de bien parce qu’elle relevait le niveau moral de l’humanité, beaucoup de mal parce qu’elle arrêtait sa croissance intellectuelle, en rajeunissant l’esprit mythique et en fixant pour des siècles l’idéal métaphysique de l’Europe aux rêves de la décadence Alexandrine et aux dernières combinaisons de l’hellénisme tombé en enfance. L’histoire du christianisme appartient à l’histoire juive jusqu’au moment où cet élément mythique et métaphysique triomphe, c’est-à-dire jusqu’au moment de la rupture définitive des deux Églises, jusqu’au jour, en un mot, où le Christianisme cesse d’être une hérésie juive pour devenir une branche nouvelle de la vieille mythologie aryo-sémitique.