Page:Darmesteter - Essais orientaux.djvu/284

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le secret du livre, il peut juger la foi de ses juges, et parfois, à un sourire, à un mot qui lui échappe, on voit qu’il la condamne et se fait fort, au fond de lui-même, d’en manifester les déceptions et l’erreur : c’est le démon qui a la clef du sanctuaire.

De là le grand rêve du prêtre : non de brûler le Juif, mais de le convertir ; on ne le brûle, sauf accident, qu’en désespoir de cause. Convertir des milliers de Sarrasins ou d’idolâtres n’est rien, ne prouve rien : mais convertir un Juif, faire reconnaître la légitimité de la foi nouvelle par l’héritier de la foi préparatoire, voilà le vrai triomphe, la vraie preuve, le témoignage suprême et irrécusable : tant qu’il reste un membre de l’ancienne Église qui nie, l’Église nouvelle se sent mal à l’aise et troublée dans sa quiétude d’héritière. De là toutes ces controverses solennelles provoquées par l’Église, toujours terminées en apparence par sa victoire, — abjuration, expulsion ou bûcher, — mais dont elle sort ébranlée sans le savoir, car la réponse, humble et accablante des accusés, trouve çà et là, parfois dans l’enceinte d’un couvent, une oreille qui la recueille, une âme inquiète où elle descend et travaille.

C’est pis encore avec des laïques ; saint Louis, effrayé, veut que le laïque ne discute avec le Juif qu’à coups d’épée[1]. Mais plus d’un, entré dans quelque maison sordide du Ghetto, où il va porter son gage ou chercher son horoscope,

  1. « (Grande folie avait-il fait) d’assembler telle desputoison ; car avant que la desputoison fust menée à fin, avoit-il ceans grant foison de bons crestiens, qui s’en fussent parti tuit mescreant, parce que il n’eussent mie bien entendu les Juis. Aussi vous di-je, fist li roys, que nulz, se il n’est très bon clers, ne doit desputer à aus ; mais li hom lays, quant il ot mesdire de la loy crestienne, ne doit pas defendre la loy crestienne, ne mais de l’espée, de quoy il doit donner parmi le ventre dedens, tant comme elle y peut entrer » (Joinville, 53).