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EFFETS DES SELS D’AMMONIAQUE.

puisé un demi-drachme ou 30 minimes, pour y plonger la feuille. Et, cependant, cette quantité a suffi pour provoquer l’inflexion de presque tous les tentacules et souvent du limbe même de la feuille.

Je comprends parfaitement que beaucoup de mes lecteurs souriront d’incrédulité. Le Drosera, sans doute, est loin d’égaler la puissance du spectroscope ; mais les mouvements de ses feuilles n’en indiquent pas moins une quantité beaucoup plus petite de phosphate d’ammoniaque que ne peut en découvrir le chimiste le plus habile dans une substance quelle qu’elle soit[1]. Pendant longtemps je me suis refusé moi-même à croire aux résultats que j’obtenais, et j’ai fait de nombreuses expériences pour rechercher toutes les causes d’erreur possible. Le sel a été presque toujours pesé par un chimiste dans d’excellentes balances ; je me suis toujours servi d’eau nouvellement distillée et mesurée plusieurs fois avec le plus grand soin ; enfin j’ai répété ces expériences pendant plusieurs années. Deux de mes fils, aussi incrédules que je l’étais moi-même, ont à maintes reprises comparé plusieurs lots de feuilles plongées simultanément dans les solutions les plus faibles et dans l’eau pure, et sont restés convaincus qu’on ne pouvait pas élever le moindre doute quant à la différence de leur aspect. J’espère que quelques naturalistes voudront bien répéter mes expériences ; pour ce faire, ils doivent choisir

  1. Quand j’ai fait mes premiers essais avec l’azotate d’ammoniaque, il y a de cela quatorze ans, on n’avait pas encore découvert la puissance du spectroscope au point de vue de l’analyse chimique ; je ressentais donc d’autant plus d’intérêt pour la puissance alors sans rivale du Drosera. Aujourd’hui le spectroscope a complètement battu le Drosera, car, selon Bunsen et Kirchoff, on peut, au moyen de cet instrument, reconnaître la présence de moins de 1/200,000,000 de grain de sodium (voir Balfour Stewart, Treatise on heat, 2e édition, 1871, p. 228). Quant aux réactifs chimiques ordinaires, je lis dans l’ouvrage du docteur Alfred Taylor sur les poisons, que l’on peut découvrir environ 1/4000 de grain d’arsenic, 1/4400 de grain d’acide prussique, 1/1400 de grain d’iode, et 1/2000 de grain de tartrate d’antimoine ; toutefois on ne peut arriver à isoler ces substances qu’autant que les solutions sur lesquelles on opère ne sont pas très-faibles.