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SÉLECTION NATURELLE.

moins nettement prononcées, — et encore entre celles-ci et les vraies espèces. Je chercherai aussi à montrer que ce sont les espèces communes et largement répandues, qu’on peut appeler les espèces dominantes, qui varient le plus fréquemment ; et que ce sont les genres les plus grands et les plus répandus, qui comprennent le plus grand nombre d’espèces sujettes à varier. On pourrait, comme nous le verrons, donner avec justesse aux variétés le nom d’espèces naissantes.

Mais, tout en accordant que les êtres organisés offrent, à l’état de nature, certaines variétés ; que leur organisation est pour ainsi dire, à quelque degré, plastique ; qu’un grand nombre de plantes et d’animaux ont considérablement varié sous l’influence de la domestication ; que l’homme, par la sélection, a pu accumuler les variations au point d’arriver à des races bien déterminées et à traits fortement accusés et héréditaires ; accordant tout cela, comment, demandera-t-on peut-être, les espèces ont-elles pu se former dans l’état de nature ? Les différences entre les variétés naturelles sont légères, mais elles sont considérables entre espèces d’un même genre, et très-grandes entre espèces de genres différents. Comment ces moindres différences ont-elles pu s’augmenter au point d’arriver au niveau des plus grandes ? Comment les variétés, ou comme je les appelle, les espèces naissantes, ont-elles pu se convertir en espèces véritables et bien déterminées ? Comment chaque espèce nouvelle a-t-elle été adaptée aux conditions physiques extérieures et aux autres formes vivantes dont elle dépend à un titre quelconque ? Nous voyons de toutes parts d’innombrables combinaisons et adaptations qui provoquent à juste titre l’admiration de tout observateur. Voici, par exemple, une mouche (Cecidomya[1]), qui en pondant ses œufs dans les étamines d’une espèce de Scrophulaire, sécrète en même temps un poison qui détermine la formation d’une galle aux dépens de laquelle la jeune larve doit se nourrir. Pendant son développement, survient un autre insecte, une petite guêpe (Misocampus), qui dépose ses œufs au travers de la galle, dans le corps même de la larve de la mouche, laquelle devient ainsi la proie des larves de la guêpe après leur éclosion. Il en résulte

  1. Léon Dufour, Annales des sciences naturelles (3e  série), t. v. p. 6.