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ORANGERS.

fruits, mais que les plantes levées de semis ne sont pas tout à fait égales en mérite à leurs parents. L’orange à pulpe rouge ne transmet pas cette particularité. Gallesio a aussi observé que les graines de plusieurs autres variétés singulières reproduisaient bien des arbres ressemblant partiellement à la forme parente, mais ayant tous une physionomie spéciale. Un oranger à feuilles de myrte (que tous les auteurs regardent comme une variété, bien que l’ensemble de son aspect soit très-distinct) qui se trouvait dans la serre de mon père, après avoir végété pendant bien des années sans produire de graines, en donna enfin une fois, et l’arbre provenant du semis de l’une d’elles fut identique avec le premier.

Il est encore une autre circonstance plus sérieuse, et qui rend fort difficile la détermination des différentes formes, c’est la fréquence avec laquelle elles se croisent entre elles ; ainsi Gallesio[1] a constaté que les plantes du limonier (C. lemonum), croissant mélangées avec celles du citronnier (C. medica), qu’on regarde généralement comme une espèce distincte, ont donné naissance à une série de formes parfaitement graduées et intermédiaires entre les deux premières. Une pomme d’Adam a été produite de la graine d’une orange douce, qui avait crû dans le voisinage de limoniers et de citronniers ; mais des faits de ce genre ne peuvent guère nous aider à fixer la valeur de ces formes comme espèces ou variétés, car on sait maintenant que des espèces incontestées de Verbascum, Cistus, Primula, Salix, etc., se croisent fréquemment dans la nature. Si cependant on pouvait prouver que les plantes produites par ces croisements étaient même partiellement stériles, ce serait un argument puissant en faveur de leur spécificité. Gallesio affirme que cela est bien le cas, mais il ne distingue pas entre la stérilité résultant de l’hybridité, et celle qui provient des effets de la culture ; et il détruit la force de sa première assertion par celle-ci[2], qu’ayant fécondé des fleurs de l’oranger commun, par du pollen pris sur des variétés incontestables de la même plante, il obtint des fruits monstrueux ne contenant que peu de pulpe, et quelques graines imparfaites ou même point.

Nous rencontrons dans ce groupe de plantes deux cas de faits remarquables au point de vue de la physiologie végétale. Gallesio[3] ayant fécondé les fleurs d’un oranger par du pollen de limonier, le fruit de l’oranger présenta un segment un peu saillant, dont l’écorce avait la couleur et le goût de celle du limon, la pulpe étant celle de l’orange et ne renfermant que des pepins incomplets. Cette possibilité d’une action directe et immédiate du pollen d’une espèce ou variété, sur le fruit produit par une autre espèce ou variété, est un fait que je discuterai à fond dans le chapitre suivant.

Le second fait remarquable est celui de deux hybrides[4] supposés (car on n’a pas vérifié s’ils l’étaient réellement), entre un oranger et un limonier ou un citronnier, ayant produit sur le même arbre, des feuilles,

  1. O. C., p. 53.
  2. Ibid., p. 69.
  3. Ibid., p. 67.
  4. Ibid., p. 75–76.