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ACTIONS MODIFICATRICES.

considérées comme des monstruosités ; ainsi la forme du corps et des pattes chez les bassets d’Europe et de l’Inde ; la forme de la tête et de la mâchoire inférieure du bouledogue et du mopse, si semblables sous ce rapport, et si différents sous tous les autres. Une singularité apparaissant brusquement peut toutefois être augmentée et fixée par la sélection humaine. Nous ne pouvons douter que l’éducation longtemps continuée, la chasse du lièvre pour le lévrier, la natation pour les chiens aquatiques, l’absence d’exercice chez les bichons, n’aient dû produire des effets directs sur leur conformation et leurs instincts. Mais nous verrons immédiatement que la cause de modification la plus puissante a été la sélection, tant méthodique qu’involontaire, de légères différences individuelles, — cette dernière sélection résultant de la conservation pendant des centaines de générations, des individus qui se trouvaient les plus utiles à l’homme pour certains usages et dans certaines conditions. Dans un chapitre futur sur la sélection, je montrerai que même les sauvages font très-attention aux qualités de leurs chiens. Cette sélection inconsciente de l’homme est aidée par une sorte de sélection naturelle, car les chiens des sauvages ont à chercher eux-mêmes une partie de leur subsistance ; ainsi en Australie nous savons par M. Nind[1], que les chiens sont souvent obligés de quitter leurs maîtres pour se pourvoir par eux-mêmes ; ils reviennent généralement au bout de quelques jours. Nous pouvons admettre que les chiens de diverses conformations, tailles et habitudes, ont le plus de chance de survivre sous des conditions variées, — dans les plaines stériles, où ils doivent forcer leur proie à la course, — sur les côtes rocheuses, où il faut qu’ils se nourrissent des crabes et des poissons qui après la marée haute restent dans les creux de rochers, comme cela est le cas à la Nouvelle-Guinée et à Tierra del Fuego. Dans ce dernier pays, M. Bridges, des missions, m’apprend que les chiens savent retourner les pierres sur la plage pour prendre les crustacés qui sont cachés dessous ; et qu’ils sont assez adroits pour détacher du premier coup de patte les mollusques collés aux rochers ; on sait que si cela n’a pas lieu, la force d’adhé-

  1. Cité par M. Galton, Domestication of Animals, p. 13.