Page:Darwin - De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication, tome 2, 1868.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
HÉRÉDITÉ.

dans ces mêmes races, aussi longtemps qu’on s’abstient de les croiser. Vu la singularité et la nouveauté de cette conclusion, je vais en donner les preuves en détail.


Mon attention fut d’abord attirée sur ce sujet par le fait signalé par MM. Boitard et Corbié, que, lorsqu’ils croisaient certaines races de pigeons domestiques, ils obtenaient presque invariablement, parmi les produits du croisement, des oiseaux présentant les couleurs du bizet sauvage, ou du colombier ordinaire, et comme eux d’un bleu ardoisé, avec la double barre ou des taches noires sur les ailes, le croupion blanc, des bandes noires sur la queue, et les rectrices extérieures bordées de blanc. J’entrepris alors une série d’expériences dont j’ai donné les résultats dans le sixième chapitre. Je choisis des pigeons appartenant à des races pures et anciennes, et dont aucune n’avait la coloration bleue, ni les marques précitées ; mais en les croisant ensemble et en recroisant leurs produits hybrides, je trouvai continuellement, parmi leur progéniture, des oiseaux plus ou moins colorés en bleu ardoisé, et ayant tout ou partie des marques caractéristiques qui accompagnent ce plumage. Je rappellerai au lecteur le cas d’un pigeon qu’on pouvait à peine distinguer d’un shetlandais sauvage, et qui était le petit-fils d’un pigeon heurté rouge, d’un paon blanc, et de deux barbes noirs ; tous oiseaux reproduisant rigoureusement leur type, et chez lesquels, appariés entre eux et sans croisement, la production d’un pigeon semblable au bizet eût été un prodige.

J’ai aussi décrit, dans le septième chapitre, les expériences que j’ai faites sur les races gallines. Je choisis des races établies depuis longtemps, parfaitement pures, et dans lesquelles il n’y avait pas trace de rouge, couleur qui reparut cependant sur les plumes de plusieurs des métis issus de leur croisement, et dont l’un, un oiseau magnifique, le produit d’un coq espagnol noir et d’une poule soyeuse blanche, eut le plumage presque exactement semblable à celui du G. bankiva. Or, quiconque s’est occupé de l’élevage des oiseaux de basse-cour, reconnaîtra qu’on pourrait élever des milliers et des milliers de poules espagnoles et soyeuses pures, sans y rencontrer la moindre apparence d’une plume rouge. Un autre fait, que j’ai donné d’après M. Tegetmeier, de l’apparition fréquente, chez les oiseaux hybrides, de plumes transversalement barrées, comme celles de beaucoup de gallinacés, est également un cas de retour vers un caractère que possédait autrefois quelque ancêtre reculé de la famille. Je dois à l’obligeance de cet excellent observateur communication de quelques plumes sétiformes du cou et de quelques rectrices d’un hybride entre la race commune et une espèce fort distincte, le Gallus varius, lesquelles plumes étaient rayées transversalement et d’une manière fort remarquable de gris et de bleu métallique, caractère qui ne pouvait provenir d’aucun des deux parents immédiats. M. B.-P. Brent m’a appris qu’ayant croisé un canard Aylesbury blanc mâle avec une cane Labrador noire, deux races pures et très-constantes, il obtint dans la couvée un caneton mâle tout à fait semblable au canard sauvage (Anas boschas). Il existe deux sous-races assez