Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/240

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bientôt les considérer à juste titre comme les plus civilisés de tous les Polynésiens. M. Coan, né dans les îles Sandwich, m’a fait remarquer avec raison que, dans le cours de cinquante ans, les indigènes ont été soumis à un plus grand changement des habitudes d’existence que les Anglais pendant une période de mille ans. L’évêque Staley affirme, il est vrai, que l’alimentation des classes pauvres n’a pas beaucoup changé, bien qu’on ait introduit dans les îles beaucoup d’espèces nouvelles de fruits, surtout la canne à sucre. Il faut ajouter que, désireux d’imiter les Européens, les indigènes changèrent presque immédiatement leur manière de se vêtir et s’adonnèrent généralement à l’usage des boissons alcooliques. Bien que ces changements ne paraissent pas avoir grande importance, je crois, si l’on en juge par ce qui se passe chez les animaux, qu’ils ont dû tendre à amoindrir la fécondité des indigènes[1].

Enfin, M. Macnamara[2] constate que les habitants si dégradés des îles Andaman, dans la partie orientale du golfe du Bengale, sont très sensibles à un changement de climat ; « si on les enlève à leur patrie, on les condamne à une mort presque certaine, et cela indépendamment d’un changement d’alimentation ou de toute autre circonstance ». Il affirme, en outre, que les habitants de la vallée du Népaul qui est extrêmement chaude en été, ainsi que les habitants des régions montagneuses de l’Inde, souffrent de la fièvre et de la dyssenterie quand ils descendent dans les plaines, et meurent certainement s’ils essayent d’y passer toute l’année.

Il résulte de ces remarques que la santé des races humaines les plus sauvages est profondément atteinte, quand on essaye de les soumettre à de nouvelles conditions d’existence ou à de nouvelles habitudes, sans qu’il soit nécessaire de les transporter sous un nouveau climat. De simples changements d’habitude, bien qu’ils ne semblent avoir aucune importance, ont ce même effet qui, d’ordinaire, se produit chez les enfants. On a souvent affirmé, comme le fait remarquer M. Macnamara, que l’homme peut supporter avec impunité les plus grandes différences de climat et résister à des changements considérables des conditions d’existence, mais cette remarque est

  1. J’ai emprunté les divers faits cités dans ce paragraphe aux ouvrages suivants : Jarves, History of the Hawaïian Islands, 1843, pp. 400-407. Cheever, Life in the Sandwich Islands, 1851, p. 277. Bonwick, Last of the Tasmanians, 1870, p. 378, cite Ruschenberger. Sir L. Belcher, Voyage round the world, 1843, vol. I, p. 272. M. Coan et le Dr Youmans de New-York ont bien voulu me communiquer les recensements que j’ai cités. Dans la plupart des cas, j’ai comparé les chiffres du Dr Youmans avec ceux indiqués dans les divers ouvrages que je viens de citer. Je ne me suis pas servi du recensement de 1850, les chiffres ne me paraissant pas exacts.
  2. The Indian Medical Gazette, 1er nov. 1871, p. 240.