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AUSTRALIE.

ce fait plus remarquable encore, c’est qu’on ne pouvait constater aucune maladie dans l’équipage du vaisseau qui causait ces terribles épidémies[1]. » Cette affirmation n’est pas aussi extraordinaire qu’elle pourrait le paraître tout d’abord ; on pourrait, en effet, citer plusieurs cas de fièvres terribles qui se sont déclarées sans que les gens qui en ont été la cause première en aient été eux-mêmes affectés. Dans la première partie du règne de Georges III, quatre agents de police vinrent chercher, pour le conduire devant un magistrat, un prisonnier qui était resté longtemps enfermé dans un cachot : bien que cet homme ne fût pas malade, les quatre agents moururent en quelques jours d’une terrible fièvre putride ; toutefois la contagion ne s’étendit à personne autre. Ces faits sembleraient indiquer que les effluves d’une certaine quantité d’hommes qui ont été enfermés pendant quelque temps ensemble deviennent un véritable poison pour ceux qui les respirent, et que ce poison devient plus virulent encore si les hommes appartiennent à des races différentes. Quelque mystérieux que paraissent ces faits, sont-ils en somme plus surprenants que cet autre fait si bien connu, c’est-à-dire que le corps d’un homme, immédiatement après sa mort et avant que la putréfaction ait commencé, engendre quelquefois des principes si délétères, qu’une simple piqûre faite

  1. Le capitaine Beechey (chap. iv, vol. I) constate que les habitants de l’île Pitcairn sont fermement convaincus qu’après l’arrivée de chaque navire ils seront atteints d’affections cutanées et d’autres maladies. Le capitaine Beechey attribue ces maladies au changement de nourriture pendant le séjour des navires. Le docteur Macculloch (Western Isles, vol. II, p. 32) dit : « On affirme qu’à l’arrivée d’un étranger (à St. Kilda), tous les habitants attrapent un rhume, pour employer l’expression vulgaire. » Le docteur Macculloch semble considérer cette histoire comme fort risible, bien qu’on l’ait souvent affirmé. Toutefois, il ajoute qu’il s’est informé auprès des habitants, qui lui ont tous répondu la même chose. Dans le Voyage de Vancouver, on trouve une affirmation presque semblable, par rapport à Otaïti. Le docteur Dieffenbach, dans une note qu’il a mise à la traduction qu’il a faite de ce volume, dit que les habitants des îles Chatham, et que ceux de quelques parties de la Nouvelle-Zélande, ont la même conviction. Il serait impossible que cette croyance fût devenue presque universelle dans l’hémisphère septentrional, aux antipodes et dans le Pacifique, si elle ne reposait pas sur quelques observations certaines. Humboldt (Polit. Essay on King. of new Spain, vol. IV) dit que les grandes épidémies, à Panama et à Callao, éclatent toujours à l’arrivée de bâtiments venant du Chili, parce que les habitants de cette région tempérée éprouvent pour la première fois les effets des zones torrides. Je puis ajouter que j’ai entendu dire moi-même, dans le Shropshire, que des moutons importés par des vaisseaux, et bien que se trouvant en parfait état de santé, sont souvent la cause de maladies, si on les place dans un troupeau.