Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/494

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
478
TERRE DE VAN-DIÉMEN.

avantage qu’elle est débarrassée de toute population indigène. Cette cruelle mesure est devenue inévitable comme le seul moyen de mettre fin à une terrible succession de vols, d’incendies et de meurtres, commis par les noirs et qui tôt ou tard aurait amené leur extermination complète. J’avoue que tous ces maux et toutes leurs conséquences ont été probablement causés par l’infâme conduite de quelques-uns de nos compatriotes. Trente années est une période bien courte pour bannir jusqu’au dernier indigène d’une île presque aussi grande que l’Irlande. La correspondance engagée à ce sujet entre le gouvernement anglais et ses représentants à la terre de Van-Diémen est fort intéressante. Un grand nombre d’indigènes avaient été tués ou faits prisonniers dans les combats continuels qui se succédèrent pendant nombre d’années ; rien cependant ne semble avoir convaincu ces peuplades de notre immense supériorité autant que la mise en état de siège de l’île entière en 1830 et la proclamation en vertu de laquelle on appelait aux armes toute la population blanche pour s’emparer de tous les indigènes. Le plan adopté ressemblait beaucoup à celui des grandes chasses de l’Inde ; on avait formé une grande ligne s’étendant à travers toute l’île dans le but de chasser les indigènes dans un cul-de-sac, sur la péninsule de Tasman. Ce plan échoua ; les indigènes bâillonnèrent leurs chiens et parvinrent à traverser les lignes pendant une nuit sombre. Il n’y a pas lieu d’en être surpris, si l’on considère le développement extraordinaire de leurs sens et les ingénieux moyens qu’ils emploient pour surprendre les animaux sauvages. On m’a assuré qu’ils peuvent se cacher sur un sol presque découvert ; il est même presque impossible de le croire si on ne l’a pas vu ; leur corps noir se confond avec les racines d’arbres noircies que l’on trouve dans tout le pays. On m’a raconté à ce sujet un pari qu’avaient fait des Anglais avec un indigène ; ce dernier se tenait debout, parfaitement en vue, sur le flanc d’une colline dénudée ; il pariait que, si les Anglais fermaient les yeux pendant moins d’une minute, il se cacherait de façon à ce qu’ils ne pussent plus le distinguer sur le sol, et il gagnait son pari. Les indigènes, comprenant parfaitement le mode de guerre qu’on leur faisait, connurent les plus vives alarmes, car ils connaissent admirablement la puissance des blancs. Bientôt après, treize d’entre eux, appartenant à deux tribus, vinrent se rendre, reconnaissant absolument leur impuissance. Enfin, grâce aux démarches intrépides de M. Robinson, homme plein d’activité et de bienveillance, qui ne craignit