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LES ROIS EN EXIL

Colette, que le bonhomme se plaignait de ne plus voir. C’était, cette Colette, son enfant d’adoption, la fille d’un frère pauvre tendrement aimé et soutenu jusqu’à la mort. Toujours occupé d’elle, il avait payé ses nourrices et son bonnet de baptême, plus tard l’internat dans le couvent le plus blasonné de Paris. Elle était son vice, sa vanité vivante, le joli mannequin qu’il parait de toutes les ambitions grouillant dans sa tête vulgaire de millionnaire parvenu ; et lorsqu’au parloir du Sacré-Cœur la petite Sauvadon disait tout bas à son oncle : « Celle-là, sa mère est baronne, ou duchesse, ou marquise… », d’un mouvement de ses grosses épaules l’oncle millionnaire répondait : « Nous ferons de toi mieux que ça. » Il la fit princesse à dix-huit ans. Les altesses en quête de dots ne manquent pas à Paris ; l’agence Lévis en tient tout un assortiment, il s’agit d’y mettre le prix. Et Sauvadon trouva que deux millions ce n’était pas trop cher pour figurer dans un coin du salon, les soirs où la jeune princesse de Rosen recevait, pour avoir le droit d’épanouir dans une embrasure son large sourire à rebords d’écuelle, entre ses courts favoris aux pompons démodés depuis Louis-Philippe. De petits yeux gris, vifs et madrés, — les yeux de Colette, — atténuaient un peu ce qui sortait de bègue, d’ingénu, d’incorrect, de cette bouche épaisse, ina-