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PROMENADE

Nous descendons vers l’eau, fatigués des hauteurs.
C’est l’écluse, un moulin, les fléaux des batteurs
Retentissent égaux dans le noir de la grange.
Au retour nous suivrons le fleuve, il luit et change
À tous les chatoiements du ciel capricieux ;
C’est un enchantement varié pour les yeux :
Gouffres verts recélant le triton, la sirène ;
Archipels que le flot en glissant ride à peine ;
La brise du couchant frappe aux vitres du bord.
Puis tout s’apaise, ainsi qu’en un vaste décor
Où l’on aurait baissé les splendeurs de la rampe !
Les passants, les maisons dans une vieille estampe,
Sont découpés avec leurs aspects du passé
Dont le contour saillant est bientôt effacé.

Le silence assoupit la campagne déserte,
On ne sait si le fleuve est bleu, la plaine verte ;
L’eau qui coule nous fait penser au temps qui fuit.
Qu’est-ce qu’un siècle, alors qu’on voit tomber la nuit ?
Tout se transpose au vague ébloui de notre âme ;