Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/109

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« — Arrive…

« — Qu’est-ce qu’il y a donc, papa ? Comme tu es pâle !…

« — Marche, marche. »

« Et je vous réponds que les Cosaques pouvaient me bousculer, me regarder de travers, je ne réclamais pas. Il me semblait toujours qu’on courait, qu’on criait derrière nous. Une fois, j’entendis un cheval nous arriver dessus à grande volée ; je crus que j’allais tomber de saisissement. Pourtant, après les ponts, je commençai à me reconnaître. Saint-Denis était plein de monde. Il n’y avait pas de risque qu’on nous repêche dans le tas. Alors seulement je pensai à notre pauvre baraque. Les Prussiens, pour se venger, étaient dans le cas d’y mettre le feu, quand ils retrouveraient leur camarade, sans compter que mon voisin Jacquot, le garde-pêche, était seul de Français dans le pays et que ça pouvait lui faire arriver de la peine, ce soldat tué près de chez lui. Vraiment ce n’était guère crâne de se sauver de cette façon-là.

« J’aurais dû m’arranger au moins pour le faire disparaître… À mesure que nous arrivions vers Paris, cette idée me tracassait davantage. Il n’y a pas, ça me gênait de laisser ce Prussien dans ma cave. Aussi, au rempart, je n’y tins plus :