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LE LONG DE LA MARNE


Sorti le 3 décembre par la porte de Montreuil. Ciel bas, bise froide, brouillard.

Personne dans Montreuil. Portes et fenêtres closes. Entendu derrière une palissade un troupeau d’oies qui piaillait. Ici, le paysan n’est pas parti, il se cache. Un peu plus loin, trouvé un cabaret ouvert. Il fait chaud, le poêle ronfle. Trois mobiles de province déjeunent presque dessus. Silencieux, les yeux bouffis, le visage enflammé, les coudes sur la table, les pauvres moblots dorment et mangent en même temps…

En sortant de Montreuil, traversé le bois de Vincennes tout bleu de la fumée des bivouacs. L’armée de Ducrot est là. Les soldats coupent des arbres pour se chauffer. C’est pitié de voir les trembles, les bouleaux, les jeunes frênes qu’on emporte la racine en l’air, avec leur fine chevelure dorée qui traîne derrière eux sur la route.

À Nogent, encore des soldats. Artilleurs en grands manteaux, mobiles de Normandie joufflus et ronds de partout comme des pommes,