Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/153

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Est-ce que c’est possible ? Est-ce qu’on a le droit ? Qu’il donne aux Prussiens ce qui est à lui, ses carrosses dorés et sa belle vaisselle plate rapportée de Mexico ! Mais ça, c’est à moi… C’est mon honneur. Je défends qu’on y touche. »

Tous ces bouts de phrase étaient hachés par la course et sa parole bègue ; mais, au fond, il avait son idée, le vieux ! Une idée bien nette, bien arrêtée : prendre le drapeau, l’emporter au milieu du régiment et passer sur le ventre des Prussiens avec tous ceux qui voudraient le suivre.

Quand il arriva là-bas, on ne le laissa pas même entrer. Le colonel, furieux, lui aussi, ne voulait voir personne… Mais Hornus ne l’entendait pas ainsi.

Il jurait, criait, bousculait le planton : « Mon drapeau… je veux mon drapeau… » À la fin une fenêtre s’ouvrit :

« C’est toi, Hornus ?

— Oui, mon colonel, je…

— Tous les drapeaux sont à l’Arsenal…, tu n’as qu’à y aller, on te donnera un reçu…

— Un reçu ?… Pour quoi faire ?…

— C’est l’ordre du maréchal…

— Mais, colonel…

— F…-moi la paix !… » et la fenêtre se referma.