Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/171

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Sur le chemin de Dannemarie, à un tournant de haie, un champ de blé magnifique, saccagé, fauché, raviné par la pluie et la grêle, croisait par terre dans tous les sens ses tiges brisées. Les épis lourds et mûrs s’égrenaient dans la boue, et des volées de petits oiseaux s’abattaient sur cette moisson perdue, sautant dans ces ravins de paille humide et faisant voler le blé tout autour. En plein soleil, sous le ciel pur, c’était sinistre, ce pillage… Debout devant son champ ruiné, un grand paysan long, voûté, vêtu à la mode de la vieille Alsace, regardait cela silencieusement. Il y avait une vraie douleur sur sa figure, mais en même temps quelque chose de résigné et de calme, je ne sais quel espoir vague, comme s’il s’était dit que sous les épis couchés sa terre lui restait toujours, vivante, fertile, fidèle, et que, tant que la terre est là, il ne faut pas désespérer.

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