Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/182

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Le cafetier fit par-dessus sa tête un geste vague qui montrait l’horizon, loin, bien loin… Nous comprîmes que Si-Sliman était parti pour quelque grand voyage ; mais, comme la pluie ne nous permettait pas de nous remettre en route, l’interprète, s’adressant au fils de l’aga, lui dit en arabe que nous étions des amis de son père et que nous lui demandions un asile jusqu’au lendemain. Aussitôt l’enfant se leva, malgré le mal qui le brûlait, donna des ordres au cafetier, puis, nous montrant les divans d’un air courtois, comme pour nous dire : « Vous êtes mes hôtes », il salua à la manière arabe, la tête inclinée, un baiser du bout des doigts, et, se drapant fièrement dans ses burnous, sortit avec la gravité d’un aga et d’un maître de maison.

Derrière lui, le cafetier ralluma son brasero, posa dessus deux bouilloires microscopiques, et, tandis qu’il nous préparait le café, nous pûmes lui arracher quelques détails sur le voyage de son maître et l’étrange abandon où se trouvait la tribu. Le Kabyle parlait vite, avec des gestes de vieille femme, dans un beau langage guttural, tantôt précipité, tantôt coupé de grands silences pendant lesquels on entendait la pluie tombant sur la mosaïque des cours intérieures, les bouilloires qui chantaient, et les aboiements des chacals répandus par milliers dans la plaine.