Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/191

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Dans les jardins publics, dans les squares, les avenues, aux carrefours, les compagnies se rangeaient, se numérotaient, alignant des blouses parmi les uniformes, des casquettes parmi les képis ; car la hâte était grande. Nous autres, chaque matin, nous nous réunissions sur une place aux arcades basses, aux larges portes, toute pleine de brouillard et de courants d’air. Après les appels, ces centaines de noms enfilés dans un chapelet grotesque, l’exercice commençait. Les coudes au corps, les dents serrées, les sections partaient au pas de course : Gauche, droite ! gauche, droite ! Et tous, les grands, les petits, les poseurs, les infirmes, ceux qui portaient l’uniforme avec des souvenirs d’Ambigu, les naïfs empêtrés de hautes ceintures bleues qui leur faisaient des tournures d’enfants de chœur, nous allions, nous virions tout autour de notre petite place, avec un entrain, une conviction !

Tout cela eût été bien ridicule, sans cette basse profonde du canon, cet accompagnement continuel qui donnait de l’aisance et de l’ampleur à nos manœuvres, étoffait les commandements trop grêles, atténuait les gaucheries, les maladresses et, dans ce grand mélodrame de Paris assiégé, tenait l’emploi de ces musiques de scène dont on se sert au théâtre pour donner du pathétique aux situations.