Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/194

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froid ! du sang-froid ! » pour essayer de s’en donner à eux-mêmes ; et puis, le jour venu, on apercevait un malheureux cheval échappé, gambadant sur les fortifications et broutant l’herbe du talus, sans se douter qu’à lui seul il avait figuré un escadron de cuirassiers blancs et servi de cible à tout un bastion en armes…

C’est tout cela que mon képi me rappelle ; une foule d’émotions, d’aventures, de paysages. Nanterre, La Courneuve, le Moulin-Saquet et ce joli coin de la Marne où l’intrépide 96e a vu le feu pour la première et dernière fois. Les batteries prussiennes étaient en face de nous, installées au bord d’une route derrière un petit bois, comme un de ces hameaux tranquilles dont on voit la fumée à travers les branches ; sur la ligne ferrée, à découvert, où nos chefs nous avaient oubliés, les obus pleuvaient avec des chocs retentissants et des étincelles sinistres… Ah ! mon pauvre képi, tu n’étais pas trop crâne ce jour-là, et tu as bien des fois fait le salut militaire, plus bas même qu’il ne convenait.

N’importe ! ce sont là de jolis souvenirs ; un peu grotesques, mais avec un petit pompon d’héroïsme ; et si tu ne m’en rappelais pas d’autres… Malheureusement il y a aussi les nuits de garde dans Paris, les postes dans les boutiques à louer, le poêle étouffant, les bancs