Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Le vieux, lui, resté tout seul sous les obus, se démenait comme un beau diable au milieu de sa batterie, et pleurait de rage de voir que ses canonniers l’avaient laissé.

« Cependant, vers le soir, il lui en revint quelques-uns, à l’heure de la paye. Tenez ! monsieur, regardez sur ma guérite. Il y a encore les noms de ceux qui sont venus pour toucher ce soir-là. Le vieux les appelait et les inscrivait à mesure :

« — Sidaine, présent ; Choudeyras, présent ; Billot, Vollon… »

« Comme vous voyez, ils n’étaient plus que quatre ou cinq ; mais ils avaient des femmes avec eux… Ah ! je ne l’oublierai jamais ce soir de paye. En bas, Paris flambait, l’Hôtel de ville, l’Arsenal, les greniers d’abondance. Dans le Père-Lachaise, on y voyait comme en plein jour. Les fédérés essayèrent encore de se remettre aux pièces ; mais ils n’étaient pas assez nombreux, et puis Montmartre leur faisait peur. Alors ils entrèrent dans un caveau et se mirent à boire et à chanter avec leurs gueuses. Le vieux s’était assis entre ces deux grandes figures de pierre qui sont à la porte du tombeau Favronne, et il regardait Paris brûler avec un air terrible. On aurait dit qu’il se doutait que c’était sa dernière nuit.

« À partir de ce moment, je ne sais plus bien