Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/215

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ce qui est arrivé. Je suis rentré chez nous, cette petite baraque que vous voyez là-bas, perdue dans les branches. J’étais très fatigué. Je me suis mis sur mon lit, tout habillé, en gardant ma lampe allumée comme dans une nuit d’orage… Tout à coup on frappe à la porte brusquement. Ma femme va ouvrir, toute tremblante. Nous croyions voir encore les fédérés… C’était la marine. Un commandant, des enseignes, un médecin. Ils m’ont dit :

« — Levez-vous… faites-nous du café. »

« Je me suis levé, j’ai fait leur café. On entendait dans le cimetière un murmure, un mouvement confus comme si tous les morts s’éveillaient pour le dernier jugement. Les officiers ont bu bien vite, tout debout, puis ils m’ont emmené dehors avec eux.

« C’était plein de soldats, de marins. Alors on m’a placé à la tête d’une escouade, et nous nous sommes mis à fouiller le cimetière, tombeau par tombeau. De temps en temps, les soldats, voyant remuer les feuilles, tiraient un coup de fusil au fond d’une allée, sur un buste, dans un grillage. Par-ci, par-là, on découvrait quelque malheureux caché dans un coin de chapelle. Son affaire n’était pas longue… C’est ce qui arriva pour mes artilleurs. Je les trouvai tous, hommes, femmes, en tas devant ma guérite, avec le vieux médaillé par-dessus. Ce