Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/219

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lui, la bataille ! L’essentiel était d’arriver chez les Bonnicar pour le coup de midi, et d’emporter bien vite le petit pourboire qui l’attendait sur la tablette de l’antichambre.

Tout à coup, il se fit dans la foule une poussée terrible ; et des pupilles de la République défilèrent au pas de course, en chantant. C’étaient des gamins de douze à quinze ans, affublés de chassepots, de ceintures rouges, de grandes bottes, aussi fiers d’être déguisés en soldats que quand ils courent, les mardis gras, avec des bonnets en papier et un lambeau d’ombrelle rose grotesque dans la boue du boulevard. Cette fois, au milieu de la bousculade, le petit pâtissier eut beaucoup de peine à garder son équilibre ; mais sa tourtière et lui avaient fait tant de glissades sur la glace, tant de parties de marelle en plein trottoir, que les petits pâtés en furent quittes pour la peur. Malheureusement cet entrain, ces chants, ces ceintures rouges, l’admiration, la curiosité, donnèrent au mitron l’envie de faire un bout de route en si belle compagnie ; et, dépassant sans s’en apercevoir l’Hôtel de ville et les ponts de l’île Saint-Louis, il se trouva emporté je ne sais où, dans la poussière et le vent de cette course folle.