Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/227

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ques ; — il n’en manque pas de fabriques autour de chez nous ! Je vois tout notre petit logement, les enfants qui reviennent de l’école ; la mère au fond de l’atelier en train de finir quelque chose contre la croisée, et s’efforçant de retenir ce brin de jour qui baisse, jusqu’à la fin de son aiguillée.

Ah ! misère, qu’est-ce que tout ça va devenir, maintenant ?

J’aurais peut-être mieux fait de les emmener avec moi, puisqu’on me le permettait. Mais qu’est-ce que vous voulez ! C’est si loin. J’avais peur du voyage, du climat pour les enfants. Puis il aurait fallu vendre notre fonds de passementerie, ce petit avoir si péniblement gagné, monté pièce à pièce en dix ans. Et mes garçons, qui n’auraient plus été à l’école ! Et la mère, obligée de vivre au milieu d’un tas de traînées !… Ah ! ma foi, non. J’aime mieux souffrir tout seul… C’est égal ! quand je monte là-haut sur le pont et que je vois toutes ces familles installées là comme chez elles, les mères cousant des chiffons, les enfants dans leurs jupes, ça me donne toujours envie de pleurer.

Le vent grandit, les vagues s’enflent. La frégate file, penchée sur le côté. On entend crier ses mâts, craquer ses voiles. Nous devons aller très vite. Tant mieux, on sera plus vite arrivé…

Cette île des Pins, qui m’effrayait tant