Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/230

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que tous ces états-majors habillés de frais, ces galons, ces brandebourgs, ces aiguillettes donnaient beaucoup d’ouvrage à la maison. Plus tard, quand j’ai vu comment tout cela marchait, j’aurais bien voulu m’en aller, mais j’avais peur de passer pour un lâche.

Qu’est-ce qu’il y a donc là-haut ? Les porte-voix ronflent. De grosses bottes courent sur le pont mouillé… Ces matelots, pourtant, quelle dure existence ça mène ! En voilà que le sifflet du quartier-maître vient de prendre en plein sommeil. Ils montent sur le pont encore tout endormis, tout suants. Il faut courir dans le noir, dans le froid. Les planches glissent, les cordages sont gelés et brûlent les mains qui s’y accrochent. Et pendant qu’ils sont pendus là-haut, au bout des vergues, ballottés entre le ciel et l’eau, à rouler de grandes toiles toutes raides, un coup de vent arrive qui les arrache, les emporte, les éparpille en pleine mer comme un vol de mouettes. Ah ! c’est une vie autrement rude que celle de l’ouvrier parisien, et autrement mal payée. Cependant ces gens-là ne se plaignent pas, ne se révoltent pas. Ils vous ont des airs tranquilles, des yeux clairs bien décidés, et tant de respect pour leurs chefs ! On voit bien qu’ils ne sont pas venus souvent dans nos clubs.

Décidément, c’est une tempête. La frégate est