Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/249

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

reflets de poudre d’or, des buvards à chaque page, un soin, un ordre…

Il paraît que les affaires vont bien. Le brave homme a l’air satisfait d’un comptable en face d’un bon inventaire de fin d’année. Pendant qu’il se délecte à tourner les pages de son livre, les portes s’ouvrent dans la salle à côté, les pas d’une foule sonnent sur les dalles ; on parle à demi-voix comme dans une église.

« Oh ! qu’elle est jeune !… Quel dommage !… »

Et l’on se pousse et l’on chuchote…

Qu’est-ce que cela peut lui faire qu’elle soit jeune ? Tranquillement, en achevant ses pommes, il attire devant lui les objets qu’il a apportés tout à l’heure. Un dé plein de sable, un porte-monnaie avec un sou dedans, de petits ciseaux rouillés, si rouillés qu’on ne pourra plus jamais s’en servir — oh ! plus jamais ; — un livret d’ouvrière dont les pages sont collées entre elles ; une lettre en loques, effacée, où l’on peut lire quelques mots : « L’enfant… pas d’arg… mois de nourrice… »

Le teneur de livres hausse les épaules avec l’air de dire :

« Je connais ça… »

Puis il prend sa plume, souffle soigneusement les mies de pain tombées sur son grand livre, fait un geste pour bien poser sa main, et de sa