Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/266

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Pour bien comprendre cela, il faut être né, comme moi, rue de l’Orillon, dans un atelier de menuisier, et depuis huit ans jusqu’à quinze qu’on m’a mis en apprentissage, avoir roulé le faubourg dans une voiture à bras pleine de copeaux. Ah ! dam ! je peux dire que je m’en suis payé des révolutions, dans ce temps-là.

Tout petit, pas plus haut qu’une botte, dès qu’il y avait du bruit dans Paris, vous étiez sûr de m’y voir par un bout. Presque toujours je savais ça d’avance. Quand je voyais les ouvriers s’en aller bras dessus, bras dessous, dans le faubourg, en prenant le trottoir tout en large, les femmes sur les portes causant, gesticulant, et tous ces tas de monde qui descendaient des barrières, je me disais en charriant mes copeaux : « Bonne affaire ! Il va y avoir quelque chose… »

En effet, ça ne manquait pas. Le soir, en rentrant chez nous, je trouvais la boutique pleine ; des amis du père causaient politique autour de l’établi, des voisins lui apportaient le journal ; car, dans ce temps-là il n’y avait pas de feuilles à un sou comme maintenant. Ceux qui voulaient recevoir le journal se cotisaient à plusieurs dans la même maison et se le passaient d’étage en étage… Papa Bélisaire, qui travaillait toujours malgré tout, poussait son rabot avec colère en entendant les nouvelles ; et je me rappelle que ces jours-là, au