Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Certes, non ! celui-là n’est pas un employé des postes. C’est un empereur, un maître du monde, un de ces êtres providentiels qui tous les soirs de répertoire font trembler les voûtes de l’Odéon et n’ont qu’à dire : « Gardes, saisissez-le ! » pour que les gardes obéissent. En ce moment, il est là-bas dans son palais, de l’autre côté de l’eau. Le cothurne aux talons, la chlamyde à l’épaule, il erre sous les portiques, déclame, fronce le sourcil, se drape d’un air ennuyé dans ses tirades tragiques. C’est si triste en effet de jouer devant les banquettes ! Et la salle de l’Odéon est si grande, si froide, les soirs de tragédie !… Tout à coup l’empereur, à demi gelé sous sa pourpre, sent un frisson de chaleur lui courir par tout le corps. Son œil s’allume, sa narine s’ouvre… Il songe qu’en rentrant, il va trouver sa chambre encore chaude, le couvert mis, la lampe prête et tout son petit chez lui bien rangé, avec ce soin bourgeois des comédiens qui se vengent dans la vie privée des allures un peu désordonnées de la scène… Il se voit découvrant la marmite, remplissant son assiette à fleurs…

Oh ! la bonne odeur de soupe au fromage !…

À partir de ce moment, ce n’est plus le même homme. Les plis droits de sa chlamyde, les escaliers de marbre, la raideur des porti-