Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/329

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Sans autre lumière qu’un vague rayon de lune, la danse semble fantastique. Tout est gris, noir ou blanc, dans une neutralité de teinte qui accompagne les choses rêvées plutôt que les choses vues. Peu à peu, à mesure que la lune monte, les croix du cimetière, celle du grand calvaire qui est au coin, s’allongent, rejoignent la ronde et s’y mêlent… Enfin dix heures sonnent, on se sépare. Chacun rentre chez soi par les ruelles du village d’un aspect étrange en ce moment. Les marches ébréchées des escaliers extérieurs, les coins de toit, les hangars ouverts où la nuit entre toute noire et compacte se penchent, se contournent, se tassent. On longe les vieilles murailles frôlées de figuiers énormes ; et pendant qu’on écrase en marchant la paille vide du blé battu, l’odeur de la mer se mêle au parfum chaud de la moisson et des étables endormies.

La maison que nous habitons est dans la campagne, un peu hors du village. Sur la route, en revenant, nous apercevons à la pointe des haies des lumières de phares luire de tous les côtés de la presqu’île, un phare à éclat, un feu tournant, un feu fixe ; et, comme on ne voit pas l’Océan, toutes ces vigies des noirs écueils semblent perdues dans la campagne paisible.

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