Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/331

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« N’aie pas peur, Rouget, — on m’appelle Rouget à cause de mon bec et de mes pattes couleur de sorbe, — n’aie pas peur, Rouget. Je te prendrai avec moi le jour de l’ouverture, et je suis sûr qu’il ne t’arrivera rien. »

C’est un vieux coq très malin et encore alerte, quoiqu’il ait le fer à cheval déjà marqué sur la poitrine et quelques plumes blanches par-ci par-là. Tout jeune, il a reçu un grain de plomb dans l’aile, et comme cela l’a rendu un peu lourd, il y regarde à deux fois avant de s’envoler, prend son temps, et se tire d’affaire. Souvent il m’emmenait avec lui jusqu’à l’entrée du bois. Il y a là une singulière petite maison, nichée dans les châtaigniers, muette comme un terrier vide, et toujours fermée.

« Regarde bien cette maison, petit, me disait le vieux ; quand tu verras de la fumée monter du toit, le seuil et les volets ouverts, ça ira mal pour nous. »

Et moi je me fiais à lui, sachant bien qu’il n’en était pas à sa première ouverture.

En effet, l’autre matin, au petit jour, j’entends qu’on l’appelait tout bas dans le sillon…

« Rouget ! Rouget ! »

C’était mon vieux coq. Il avait des yeux extraordinaires.

« Viens vite, me dit-il, et fais comme moi. »