Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/343

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plumes vertes qui se hérissent l’un contre l’autre dans un coin…

Ce matin-là, la petite créole n’a pas pu se lever. Comme une balancelle mahonnaise prise dans les glaces du Nord, le froid l’étreint, la paralyse. Il fait sombre, la chambre est triste. Le givre a mis sur les vitres un épais rideau de soie mate. La ville semble morte, et, par les rues silencieuses, le chasse-neige à vapeur siffle lamentablement… Dans son lit, pour se distraire, la créole fait luire les paillettes de son éventail et passe son temps à se regarder dans les miroirs de son pays, tout frangés de grandes plumes indiennes.

Toujours plus courts, toujours plus noirs, les jours d’hiver se succèdent. Dans ses courtines de dentelles, la petite créole languit, se désole. Ce qui l’attriste surtout, c’est que de son lit elle ne peut pas voir le feu. Il lui semble qu’elle a perdu sa patrie une seconde fois… De temps en temps elle demande : « Est-ce qu’il y a du feu dans la chambre ? — Mais oui, petite, il y en a. La cheminée est tout en flammes. Entends-tu pétiller le bois, et les pommes de pin qui éclatent ? — Oh ! voyons, voyons. » Mais elle a beau se pencher, la flamme est trop loin d’elle ; elle ne peut pas la voir et cela la désespère. Or, un soir qu’elle est là, pensive et pâle, sa tête au bord de