Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/361

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Seuls, les musées manifestaient quelque inquiétude. Un jour, en entrant à la Pinacothèque, je trouvai les murs nus et les gardiens en train de clouer les tableaux dans de grandes caisses prêtes à partir pour le Sud. On craignait que le vainqueur, très scrupuleux pour les propriétés particulières, ne le fût pas autant pour les collections de l’État. Aussi, de tous les musées de la ville, il n’y avait que celui de M. de Sieboldt qui restât ouvert. En sa qualité d’officier hollandais, décoré de l’Aigle de Prusse, le colonel pensait que, lui présent, personne n’oserait toucher à sa collection ; et en attendant l’arrivée des Prussiens, il ne faisait plus que se promener avec son grand costume, à travers les trois longues salles que le roi lui avait données au jardin de la cour, espèce de Palais-Royal, plus vert et plus triste que le nôtre, entouré de murs de cloître peints à fresque.

Dans ce grand palais morne, ces curiosités étalées, étiquetées, constituaient bien le musée, cet assemblage mélancolique de choses venues de loin, dégagées de leur milieu. Le vieux Sieboldt lui-même avait l’air d’en faire partie. Je venais le voir tous les jours, et nous passions ensemble de longues heures à feuilleter ces manuscrits japonais ornés de planches, ces livres de science, d’histoire ; les uns si immenses,