Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/366

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

honneur lui arrivait. Il se souvenait très bien d’avoir, dans sa jeunesse, fait passer le Starnberg à un officier. Il y avait soixante ans de cela, et à la façon respectueuse dont le bonhomme me parlait, je sentais l’impression qu’avait dû lui faire ce Français en 1806, quelque bel Oswald du premier Empire, en collant et bottes molles, un schapska gigantesque et des insolences de vainqueur !… Si le batelier de Starnberg vit encore, je doute qu’il ait autant d’admiration pour les Français.

C’est sur ce beau lac et dans les parcs ouverts des résidences qui l’entourent, que les bourgeois de Munich promènent leurs gaietés du dimanche. La guerre n’avait rien changé à cet usage. Au bord de l’eau, quand je passai, les auberges étaient pleines ; de grosses dames assises en rond faisaient bouffer leurs jupes sur les pelouses. Entre les branches qui se croisaient sur le bleu du lac, des groupes de Gretchen et d’étudiants passaient, auréolés d’une fumée de pipe. Un peu plus loin, dans une clairière du parc Maximilien, une noce de paysans, bruyante et voyante, buvait devant de longues tables en tréteaux, tandis qu’un garde-chasse en habit vert, campé, le fusil au poing, dans l’attitude d’un homme qui tire, faisait la démonstration de ce merveilleux fil à aiguille dont les Prussiens se servaient