Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/47

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maison abandonnée, pour partager l’argent. La vérité m’oblige à dire que le partage fut fait honnêtement, et que d’entendre sonner ces beaux écus sous sa blouse, de penser aux parties de galoche qu’il avait là en perspective, le petit Stenne ne trouvait plus son crime aussi affreux.

Mais, lorsqu’il fut seul, le malheureux enfant ! lorsque, après les portes, le grand l’eut quitté, alors ses poches commencèrent à devenir bien lourdes, et la main qui lui serrait le cœur le serra plus fort que jamais. Paris ne lui semblait plus le même. Les gens qui passaient le regardaient sévèrement, comme s’ils avaient su d’où il venait. Le mot espion, il l’entendait dans le bruit des roues, dans le battement des tambours qui s’exerçaient le long du canal. Enfin il arriva chez lui, et, tout heureux de voir que son père n’était pas encore rentré, il monta vite dans leur chambre cacher sous son oreiller ces écus qui lui pesaient tant.

Jamais le père Stenne n’avait été si bon, si joyeux qu’en rentrant ce soir-là. On venait de recevoir des nouvelles de province : les affaires du pays allaient mieux. Tout en mangeant, l’ancien soldat regardait son fusil pendu à la muraille, et il disait à l’enfant, avec son bon rire :

« Hein, garçon, comme tu irais aux Prussiens, si tu étais grand ! »