Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/104

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de soie noire qu’elles remettent au vestiaire le soir en partant, regardent d’un air imposant, du haut de leurs coiffures à grandes boucles, les petites gens qui se permettent de marchander.

Elle se sentait examinée, critiquée, et sa timidité était obligée de s’armer en guerre. Les noms prononcés devant elle, les plaisirs, les fêtes, les livres dont on parlait lui étaient inconnus. Claire la mettait de son mieux au courant, la maintenait au niveau, d’une main amie toujours tendue ; mais parmi ces dames, beaucoup trouvaient Sidonie jolie. C’était assez pour lui en vouloir d’être entrée dans leur monde. D’autres, fières de la position de leur mari, de leur richesse, n’avaient pas assez de mutismes insolents, de politesses condescendantes pour humilier la petite parvenue.

Sidonie les confondait toutes dans un seul mot. Les amies de Claire, c’est-à-dire mes ennemies à moi !… Mais elle n’en voulait sérieusement qu’à une seule.

Les deux associés ne se doutaient guère de ce qui se passait entre leurs femmes.

Risler aîné, toujours absorbé dans son invention d’imprimeuse, restait quelquefois jusqu’au milieu de la nuit à sa table de dessin. Fromont jeune passait ses journées dehors, déjeunait à son cercle, n’était presque jamais à la fabrique. Il avait ses raisons pour cela.

Le voisinage de Sidonie le troublait. Ce caprice passionné qu’il avait eu pour elle, cet amour sacrifié aux dernières volontés de son oncle lui traversaient trop souvent la mémoire avec tout le regret de l’irréparable, et, se sentant faible, il fuyait. C’était une nature