Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/106

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entrait vite chez lui comme dans un refuge, cachant, sous un flot de caresses à l’enfant qu’on lui tendait, le trouble tout à coup ressenti.

Sidonie, elle, semblait ne plus se souvenir de rien, et n’avoir gardé que du mépris pour cette nature lâche et douce. D’ailleurs, elle avait bien d’autres préoccupations.

Dans leur salon rouge, entre les deux fenêtres, son mari venait de faire installer un piano.

Après bien des hésitations, elle s’était décidée à apprendre le chant, pensant qu’il était un peu tard pour commencer le piano ; et, deux fois par semaine, madame Dobson, une jolie blonde sentimentale, venait lui donner des leçons de midi à une heure. Dans le silence des cours environnantes, ces a… a… a…, ces o… 0… 0…, prolongés avec insistance, recommencés dix fois, les fenêtres ouvertes, donnaient à la fabrique l’aspect d’un pensionnat.

C’était bien, en effet, une écolière qui s’exerçait là, une petite âme inexpérimentée et flottante, pleine de désirs inavoués, ayant tout à apprendre et à connaître pour devenir une vraie femme. Seulement son ambition s’en tenait à la superficie des choses : « Claire Fromont joue du piano ; moi je chanterai… Elle passe pour une femme élégante et distinguée, je veux qu’on en dise autant de moi. »

Sans songer une minute à s’instruire, elle passait sa vie à courir les boutiques, les fournisseurs « Que portera-t-on cet hiver ? » Elle allait aux somptuosités d’étalage, à tout ce qui saute aux yeux des passants.