Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/136

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d’un perroquet qui se tenait en bas sur un perchoir, les gloussements de quelque poule en quête d’un grain perdu, voilà tout ce que M. Gardinois pouvait entendre, lorsqu’il appliquait l’oreille à son tuyau. Quant aux voix, elles ne lui arrivaient que comme un bourdonnement confus, un murmure de foule où il était impossible de rien distinguer. Il en avait été quitte pour les frais de l’installation, et, depuis, dissimulait sa merveille acoustique dans un pli du rideau de son lit.

Une nuit, le bonhomme, qui venait de s’endormir, fut réveillé en sursaut par le grincement d’une porte. À cette heure, c’était assez extraordinaire. La maison tout entière dormait. On n’entendait plus que les pattes des chiens de garde sur le sable, ou leur arrêt au pied d’un arbre en haut duquel soufflait quelque chouette. Belle occasion pour se servir du tuyau acoustique. En rapprochant de son oreille, M. Gardinois s’assura qu’il ne s’était pas trompé Le bruit continuait. On ouvrait une porte, puis une autre. Le verrou du perron glissait sous un effort. Mais ni Pyrame, ni Thisbé, pas même Kiss, le terrible terre-neuve, n’avaient bougé. Il se leva doucement pour voir quels pouvaient être ces singuliers voleurs qui sortaient au lieu d’entrer et à travers les lames de ses persiennes, voici ce qu’il aperçut.

Un homme mince, élancé, qui avait la tournure de Georges, donnait le bras à une femme encapuchonnée de dentelles. Ils s’arrêtèrent d’abord sur le banc du paulownia dont les branches étaient en pleine fleur.

Il faisait une nuit admirable, neigeuse. La lune, frôlant les cimes d’arbres, amassait des flocons lumineux