Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/142

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Ses yeux de malice, sa lèvre gonflée de vie n’étaient pas faits pour ces sentimentalités de harpe éolienne. Les refrains d’Offenbach ou d’Hervé, piqués de notes imprévues, où l’on s’aide du geste, d’un coup de tête ou d’un coup de reins, lui auraient bien mieux convenu ; mais elle n’osait pas l’avouer à son langoureux professeur. Du reste, quoiqu’on l’eût beaucoup fait chanter chez mademoiselle Le Mire, sa voix était encore jeune et assez jolie.

Privée de relations, elle en vint peu à peu à se faire une amie de sa maîtresse de chant. Elle la gardait à déjeuner, l’emmenait en course avec elle dans le coupé neuf, la faisait assister aux emplettes, aux achats de toilettes et de bijoux. Le ton sentimental et compatissant de madame Dobson disposait aux confidences. Ses plaintes continuelles semblaient vouloir en attirer d’autres. Sidonie lui parla de Georges, de leur amour, atténuant sa faute par la cruauté de ses parents qui l’avaient mariée de force à un homme riche et beaucoup plus âgé qu’elle. Madame Dobson se montra tout de suite disposée à les aider ; non qu’elle fût vénale, mais cette petite femme avait la passion de la passion, le goût des intrigues romanesques. Malheureuse dans son ménage, mariée à un dentiste qui la battait, tous les maris pour elle étaient des monstres, et le pauvre Risler surtout lui faisait l’effet d’un tyran épouvantable que sa femme était en droit de haïr et tromper.

Ce fut une confidente active et d’une grande utilité. Deux ou trois fois par semaine elle apportait une loge pour l’Opéra, les Italiens, ou quelqu’un de ces petits