Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/143

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théâtres à succès qui, pendant une saison, font traverser Paris à tout Paris. Aux yeux de Risler, les places venaient de madame Dobson ; elle en avait tant qu’elle voulait dans les théâtres de chant. Le malheureux ne se doutait pas que la moindre de ces loges à une « première » à la mode avait souvent coûté dix ou quinze louis à son associé. C’était vraiment trop facile de tromper un mari comme celui-là. Son inépuisable crédulité acceptait tranquillement tous les mensonges, et puis, il ne connaissait rien de ce monde factice où sa femme commençait déjà à être connue Jamais il ne l’accompagnait. Les quelques fois où, dans tout le commencement du mariage, il l’avait conduite au théâtre, il s’était endormi honteusement, trop simple pour se préoccuper du public, et d’esprit trop lent pour s’intéresser au spectacle. Aussi, savait-il un gré infini à madame Dobson de le remplacer auprès de Sidonie. Elle le faisait avec si bonne grâce.

Le soir, quand sa femme partait, toujours splendidement mise, il la regardait avec admiration, sans se douter du prix que coûtaient ses toilettes, ni surtout de celui qui les payait, et, libre de tout soupçon, il l’attendait au coin du feu en dessinant, heureux de se dire : « Comme elle doit s’amuser ! »

À l’étage au-dessous, chez les Fromont, la même comédie se jouait, mais avec un renversement de rôles. Ici, c’était la jeune femme qui gardait le coin du feu. Tous les soirs, une demi-heure après le départ de Sidonie, le grand portail se rouvrait pour le coupé des Fromont, emportant monsieur à son cercle. Que voulez-vous ? Il