Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/159

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dans les sous-sols, dans ces trous noirs, bourrés de richesses, où la fortune des maisons est en germe, tout cela ravissait M. Chèbe :

Il s’amusait à deviner le contenu des ballots, était le premier aux bagarres quand un passant recevait quelque fardeau sur les pieds ou que les chevaux d’un camion, impatients et fougueux, faisaient de la longue voiture en travers dans la rue, un obstacle à toute circulation. Il avait en outre les mille distractions du petit commerçant sans clients, la pluie à verse, les accidents, les vols, les disputes…

À la fin de la journée, M. Chèbe ahuri, abasourdi, fatigué du travail des autres, s’allongeait dans son fauteuil, et disait à sa femme, en s’épongeant le front :

– Voilà la vie qu’il me fallait !… la vie active…

Madame Chèbe souriait doucement, sans répondre. Rompue à tous les caprices de son mari, elle s’était arrangée de son mieux dans une arrière-boutique ayant vue sur une cour noire, se consolait en songeant à l’ancienne prospérité de ses parents, à la fortune de sa fille, et toujours proprement vêtue, avait su déjà s’attirer le respect des fournisseurs et des voisins. Elle n’en demandait pas davantage, ne pas être confondue avec les femmes d’ouvriers souvent moins pauvres qu’elle, garder, malgré tout, un petit rang bourgeois. C’était sa préoccupation constante aussi la pièce du fond où elle se tenait et où il faisait nuit à trois heures, resplendissait d’ordre et de propreté. Pendant le jour, un lit s’y pliait en canapé, un vieux châle figurait un tapis de table, la cheminée servait d’office,